La fin de la valeur locative : simplification ou nouveau casse-tête fiscal ?

Bonne nouvelle : un impôt disparaît. Mais derrière cette réforme emblématique, la simplicité promise cache un équilibre fiscal bien plus complexe.

La suppression de la valeur locative, prévue pour 2028, met fin à une anomalie fiscale presque centenaire : le fait d’être imposé sur un revenu fictif, celui que l’on aurait pu toucher si l’on louait son propre logement. Mais derrière cette victoire symbolique se profile un rééquilibrage aux effets contrastés. Jusqu’ici, la valeur locative, ce revenu théorique, était compensée par la possibilité de déduire les intérêts hypothécaires et les frais d’entretien. Avec la réforme, ces déductions disparaissent pour les logements occupés par leur propriétaire.

L’objectif du nouveau système est de réduire un endettement privé resté artificiellement élevé à cause des déductions d’intérêts : les ménages étaient incités à conserver leur dette, tandis que ceux qui la remboursaient voyaient leur charge fiscale augmenter. Mais l’effet d’équité promis semble difficile à atteindre. Prenons l’exemple d’un couple lourdement hypothéqué vivant dans un petit appartement à rénover : leur valeur locative, faible en raison de la taille du bien, ne pesait guère sur leur impôt, les déductions pour intérêts et entretien compensant cette charge. Demain, ces déductions disparaîtront ; leur situation fiscale risque de se dégrader, alors même qu’ils doivent encore investir dans leur logement. À l’inverse, le propriétaire d’un grand appartement ou d’une villa déjà rénovée, faiblement endetté et jusqu’ici fortement imposé sur la valeur locative, bénéficiera d’un allègement automatique.

S’ajoute à cela le paradoxe du remboursement de la dette. Faut-il amortir pour sortir d’un système devenu fiscalement moins avantageux ? Pas forcément. Rembourser son hypothèque immobilise un capital précieux, qui ne produit plus de revenus et pourrait être mieux utilisé : placements, prévoyance ou réserve de liquidités. Et lorsque les taux hypothécaires remonteront, ce qui finira bien par arriver, les propriétaires seront pris entre le marteau et l’enclume : rembourser davantage et immobiliser leur épargne, ou maintenir leur dette et voir leurs intérêts exploser, sans plus pouvoir les déduire.

Au niveau fédéral, les nouvelles dispositions redéfinissent les déductions autorisées : les propriétaires de biens loués continueront à déduire les frais d’entretien, d’assurance et d’administration par des tiers. Les intérêts passifs privés ne resteront déductibles que lorsqu’ils sont liés à un bien immobilier situé en Suisse et donné en location. Toutes les autres dettes, crédits à la consommation, cartes de crédit ou autres emprunts sans lien direct avec un bien locatif, ne donneront plus droit à aucune déduction. Cette mesure ne concernera donc pas seulement les propriétaires, mais l’ensemble des contribuables, réduisant plus largement l’attrait fiscal de l’endettement. Quant aux primo-acquéreurs, ils bénéficieront d’un allègement bienvenu : lors de l’achat de leur premier logement à usage personnel, ils pourront déduire jusqu’à 10 000 francs d’intérêts pour un couple (5 000 pour une personne seule) la première année, ce montant diminuant de 10 % chaque année pendant dix ans. Une mesure transitoire qui atténue, au moins partiellement, l’impact de la réforme sur les nouveaux propriétaires. Enfin, la suppression de la valeur locative met aussi fin, au niveau fédéral, aux déductions pour travaux d’économie d’énergie. Les cantons garderont toutefois la liberté de maintenir ou d’adapter leurs propres incitations. Dans le canton de Vaud, ces choix seront déterminants : sans soutien fiscal ciblé, les rénovations énergétiques risquent d’être repoussées, au détriment non seulement des propriétaires mais du climat lui-même.

Renata Pospisil
Wealth Planner
chez Bordier & Cie Nyon