Succession en Suisse : pourquoi tout ne se partage pas au décès

Lorsqu’un décès survient, beaucoup de familles pensent que la succession s’ouvre immédiatement. En pratique, ce n’est pas toujours le cas. Pour la majorité des couples mariés en Suisse, une étape préalable est nécessaire : la liquidation du régime matrimonial. Cette phase, souvent méconnue, conditionne pourtant la part de patrimoine qui entrera réellement dans la succession.

Le droit suisse prévoit trois régimes matrimoniaux : la participation aux acquêts, la communauté de biens et la séparation de biens. La plupart des couples mariés l’ignorent, mais à défaut de contrat de mariage, c’est automatiquement le régime de la participation aux acquêts qui s’applique.

Dans ce régime, le patrimoine de chaque époux est divisé en deux catégories. Les biens propres appartiennent à l’époux concerné et ne font pas l’objet d’un partage. Ils comprennent notamment les biens détenus avant le mariage, ainsi que ceux reçus par héritage ou donation pendant le mariage. Les acquêts, en revanche, font l’objet d’un partage : il s’agit de tout ce qui est constitué durant la vie commune grâce au travail et aux revenus, tels que les salaires, l’épargne, les biens acquis pendant le mariage ou la valeur créée par une activité professionnelle.

Un exemple concret permet de mieux comprendre cette distinction. Si l’un des époux hérite d’un appartement de ses parents, ce bien reste un bien propre. En revanche, une maison achetée pendant le mariage avec les revenus du couple constitue un acquêt.

Au décès de l’un des époux, on ne partage pas l’ensemble du patrimoine. On commence par comparer les acquêts de chacun, puis on les répartit par moitié. Cette opération peut entraîner un rééquilibrage avant même toute transmission aux héritiers.

Prenons un exemple. Un couple est marié sous le régime de la participation aux acquêts et l’un des époux décède. Les acquêts du défunt s’élèvent à CHF 1,6 million, tandis que ceux du conjoint survivant s’élèvent à CHF 400’000. Le total des acquêts du couple est donc de CHF 2 millions. Chaque époux ayant droit à la moitié, soit CHF 1 million, les acquêts du défunt excédant ceux du conjoint survivant de CHF 600’000, ce montant est attribué à ce dernier lors de la liquidation du régime matrimonial.

La succession portera ensuite uniquement sur les acquêts nets du défunt, soit CHF 1 million, ainsi que sur ses biens propres éventuels, et non sur l’ensemble des biens du couple. Ces mécanismes juridiques sont rarement évoqués en famille, alors même qu’ils influencent profondément l’équilibre entre conjoints et enfants.

Cette mécanique surprend fréquemment car une part significative du patrimoine revient d’office au conjoint survivant, indépendamment des règles successorales ou des dispositions testamentaires.

Il est également possible de modifier son régime matrimonial de son vivant, par contrat notarié. Certains couples choisissent la communauté de biens, d’autres la séparation de biens, notamment dans un souci de clarté ou de protection.

La séparation de biens se distingue par sa simplicité : chaque époux reste propriétaire de son patrimoine et, au décès, la succession s’ouvre directement sur les biens du défunt, sans liquidation préalable. Ce régime est souvent privilégié dans les familles recomposées ou lorsque les patrimoines sont clairement séparés.

Comprendre son régime matrimonial n’est donc pas un détail technique. C’est une étape essentielle pour éviter des surprises et des tensions au moment de la succession, et pour s’assurer que la transmission du patrimoine corresponde réellement aux intentions de chacun, et non à des mécanismes juridiques découverts trop tard.

Renata Pospisil
Wealth Planner
chez Bordier & Cie Nyon